La
bionique, c'est un peu comme le bricolage : les principes de base sont simples,
mais une combinaison judicieuse des règles permet de rêver à des applications
extraordinaires.
Attention, ceci est une fiction à ne
suivre sous aucun prétexte : vous décidez de vous lancer dans la grande aventure
de la bionique. Après réflexion, vous jetez votre dévolu sur votre tendre belle-
mère. Une fois celle-ci solidement sanglée sur son siège, vous sortez les
électrodes. Première étape, où allez-vous les placer ? Le cerveau peut-être, ou
plus exactement la couche superficielle, le cortex, centre de la pensée et des
fonctions qui caractérisent notre brillante humanité. Vous découpez donc
(délicatement) le crâne et l'étendu du cortex se présente à vous. Mais, tel un
torero qui s'apprête à planter les banderilles, vous ne pouvez placer vos
électrodes au hasard. Car le cortex n'est pas un tout homogène. Il se compose
d'une multitude de zones dédiées chacune à une tâche plus ou moins spécifique :
une cartographie grossière des activités a bien été é ablie, mais il faut
reconnaître que la logique de cette répartition nous échappe encore. Dans les parties cognitives du cerveau sont rassemblées les fonctions aussi
nobles que le raisonnement, la mémoire ou le langage. Le raisonnement étant un
processus on ne peut plus complexe, il ne serait pas judicieux de placer les
électrodes dans une zone aussi tumultueuse. En fait, il existe bien un endroit
du cerveau, le cortex moteur, qui est en charge de l'interface entre les zones
cognitives et les muscles du corps. C'est une bande étroite située
approximativement au milieu du cortex (voir schéma). Assurément, cette région du cerveau semble la plus judicieuse pour placer des
électrodes afin de communiquer avec un ordinateur. Mais subitement, tandis que
vous vous apprêtez à enfoncer rageusement les tiges métalliques dans cette
région du cerveau de votre belle- mère, une idée vous vient à l'esprit : cette
zone commande directement les nerfs qui déclenchent les contractions des
muscles. Aussi, n'est-il pas préférable de placer directement les électrodes au
niveau des nerfs ou des muscles? De fait, c'est la même information que l'on
retrouve au niveau du cortex moteur, des nerfs et enfin des muscles. La
détection des petits mouvements musculaires est la solution de loin la plus
simple et pas nécessairement la plus lente. Le plus difficile est encore d'analyser l'activité d'un nerf. Ici,
l'information est représentée par des impulsions électriques strictement
identiques les unes par rapport aux autres. Aussi surprenant que cela puisse
paraître, ce sont des bips (valeur O ou 1) comparables aux bits informatiques
qui circulent le long des nerfs. Mais attention aux conclusions hâtives : les
impulsions que véhiculent les nerfs sont aux données numériques des ordinateurs
ce que le Canada Dry est à l'alcool. ‚a y ressemble mais c'est en réalité
différent. D'ailleurs, contrairement aux données numériques, l'intervalle de
temps entre deux "impulsions nerveuses" est variable. Laps de temps qui se
compte en centièmes de seconde, alors que, dans un ordinateur, l'unité de mesure
est plutôt le centième de millionième de seconde. Bref, un microprocesseur est
un million de fois plus rapide que le système biologique. Heureusement, la
nature se rattrape avec des milliards de neurones qui travaillent en
parallèle. Plus cyber-techno, des recherches sont actuellement menées visant à faire
pousser des nerfs sur une puce en silicium. Mais ce type de culture pose un
problème très complexe. Car si, le long du nerf, l'information circule sous
forme d'impulsions électriques, en revanche, à son extrémité, ce sont des
messagers chimiques qui prennent le relais. Il faut donc avoir recours à des
capteurs sensibles aux substances chimiques spécifiques que produisent les nerfs
en leur extrémité (synapse). Ces capteurs baptisés bio- senseurs sont le plus
souvent fait de silicium recouvert d'un matériau bio-compatible comme l'or.
Ingmar Lundstrom de l'université de Gšteborg en Suède et Gregory Kovacs du
Center for Integrated Systems de l'université de Stanford (Californie) ont déjà
accumulé un réelle expérience dans ce domaine. Mais la liaison é ablit entre un
nerf et le silicium est très éphémère. Et le problème des rejets n'est pas
encore résolu. Par ailleurs, ces chercheurs n'Ïuvrent pas pour développer la
bionique. Leur objectif est plus de l'ordre de la recherche fondamentale. Pour
eux, les bio- capteurs à base de silicium sont seulement des outils de grande
précision dans l'étude de l'extrémité du nerf. Votre belle-mère peut être
rassurée.
A.O.