BIONIQUE


CD MEDIA No 10-MAI 1995

LA TETE DANS L'ORDINATEUR MODE D'EMPLOI



La bionique, c'est un peu comme le bricolage : les principes de base sont simples, mais une combinaison judicieuse des règles permet de rêver à des applications extraordinaires.

Attention, ceci est une fiction à ne suivre sous aucun prétexte : vous décidez de vous lancer dans la grande aventure de la bionique. Après réflexion, vous jetez votre dévolu sur votre tendre belle- mère. Une fois celle-ci solidement sanglée sur son siège, vous sortez les électrodes. Première étape, où allez-vous les placer ? Le cerveau peut-être, ou plus exactement la couche superficielle, le cortex, centre de la pensée et des fonctions qui caractérisent notre brillante humanité. Vous découpez donc (délicatement) le crâne et l'étendu du cortex se présente à vous. Mais, tel un torero qui s'apprête à planter les banderilles, vous ne pouvez placer vos électrodes au hasard. Car le cortex n'est pas un tout homogène. Il se compose d'une multitude de zones dédiées chacune à une tâche plus ou moins spécifique : une cartographie grossière des activités a bien été é ablie, mais il faut reconnaître que la logique de cette répartition nous échappe encore.

Dans les parties cognitives du cerveau sont rassemblées les fonctions aussi nobles que le raisonnement, la mémoire ou le langage. Le raisonnement étant un processus on ne peut plus complexe, il ne serait pas judicieux de placer les électrodes dans une zone aussi tumultueuse. En fait, il existe bien un endroit du cerveau, le cortex moteur, qui est en charge de l'interface entre les zones cognitives et les muscles du corps. C'est une bande étroite située approximativement au milieu du cortex (voir schéma).

Assurément, cette région du cerveau semble la plus judicieuse pour placer des électrodes afin de communiquer avec un ordinateur. Mais subitement, tandis que vous vous apprêtez à enfoncer rageusement les tiges métalliques dans cette région du cerveau de votre belle- mère, une idée vous vient à l'esprit : cette zone commande directement les nerfs qui déclenchent les contractions des muscles. Aussi, n'est-il pas préférable de placer directement les électrodes au niveau des nerfs ou des muscles? De fait, c'est la même information que l'on retrouve au niveau du cortex moteur, des nerfs et enfin des muscles. La détection des petits mouvements musculaires est la solution de loin la plus simple et pas nécessairement la plus lente.

Le plus difficile est encore d'analyser l'activité d'un nerf. Ici, l'information est représentée par des impulsions électriques strictement identiques les unes par rapport aux autres. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont des bips (valeur O ou 1) comparables aux bits informatiques qui circulent le long des nerfs. Mais attention aux conclusions hâtives : les impulsions que véhiculent les nerfs sont aux données numériques des ordinateurs ce que le Canada Dry est à l'alcool. ‚a y ressemble mais c'est en réalité différent. D'ailleurs, contrairement aux données numériques, l'intervalle de temps entre deux "impulsions nerveuses" est variable. Laps de temps qui se compte en centièmes de seconde, alors que, dans un ordinateur, l'unité de mesure est plutôt le centième de millionième de seconde. Bref, un microprocesseur est un million de fois plus rapide que le système biologique. Heureusement, la nature se rattrape avec des milliards de neurones qui travaillent en parallèle.

Plus cyber-techno, des recherches sont actuellement menées visant à faire pousser des nerfs sur une puce en silicium. Mais ce type de culture pose un problème très complexe. Car si, le long du nerf, l'information circule sous forme d'impulsions électriques, en revanche, à son extrémité, ce sont des messagers chimiques qui prennent le relais. Il faut donc avoir recours à des capteurs sensibles aux substances chimiques spécifiques que produisent les nerfs en leur extrémité (synapse). Ces capteurs baptisés bio- senseurs sont le plus souvent fait de silicium recouvert d'un matériau bio-compatible comme l'or. Ingmar Lundstrom de l'université de Gšteborg en Suède et Gregory Kovacs du Center for Integrated Systems de l'université de Stanford (Californie) ont déjà accumulé un réelle expérience dans ce domaine. Mais la liaison é ablit entre un nerf et le silicium est très éphémère. Et le problème des rejets n'est pas encore résolu. Par ailleurs, ces chercheurs n'Ïuvrent pas pour développer la bionique. Leur objectif est plus de l'ordre de la recherche fondamentale. Pour eux, les bio- capteurs à base de silicium sont seulement des outils de grande précision dans l'étude de l'extrémité du nerf. Votre belle-mère peut être rassurée.

A.O.